L'hôpital public est malade
- Admin
- 9 sept. 2016
- 5 min de lecture

Jusqu'à présent réputés pour leur haut niveau, les hôpitaux sont atteints par une pathologie rare : l'incompétence. L'urgence s'impose
Matériels défectueux, infrastructures obsolètes, doutes sur l'hygiène et la sécurité des patients, mauvaise gestion des établissements... La liste s'allonge chaque jour, un peu plus. Et toujours pas de remèdes !
Dans certains hôpitaux, « des fournitures ont disparu, du matériel a été dégradé et la crasse a envahi les lieux », rapporte un témoin. Des draps ou bien encore... des poignées de porte ont été volés !
L'hôpital fuit...
Face à cette situation peu reluisante pour l'image de l'hôpital public en Tunisie, jusque-là réputé pour son « haut niveau » de compétences médicales, l'urgence s'impose.
Une enveloppe de 3 millions de dinars (1,3 M€) a été débloquée afin, notamment, de réhabiliter les services de l'hôpital régional Bougatfa, à Bizerte.
Devant la lenteur administrative retardant le début des travaux (toujours en cours), le bâtiment fuit de partout... Ainsi, la maternité a dû être évacuée dernièrement et les nouveau-nés dirigés vers le service pédiatrie.
... le scanner ne répond plus !
Autre cas : celui du CHU de Madhia. Là, c'est le matériel d'imagerie médicale qui est défectueux. « Inadmissible ! », selon la ministre de la Santé, Samira Meraï. « Le secteur de la santé souffre de problèmes de gestion et d'une mauvaise gouvernance. Il faut aller vers plus de décentralisation et régler les problèmes au plus vite au niveau des directions régionales. »
« 24 h pour tout mettre en œuvre et remplir sa mission de service public »
Plus de sang ni de médicaments...
Même constat à l'hôpital régional de Kasserine, où des dizaines de blessés ont été accueillis dernièrement dans des conditions déplorables suite à une collision entre un bus et un poids lourd faisant 16 morts et 85 blessés. L'état de délabrement avancé, constaté par le Premier ministre tunisien, a poussé Youssef Chahed à prendre des mesures d'urgence.
Le ministère de la Santé, ainsi que les directions centrales et régionales, ont été sommé de mettre tout en œuvre, « dans un délai de 24 h », afin que l'hôpital public puisse « remplir la mission qui est la sienne ».
Mesures d'urgence
Parmi les mesures concrètes annoncées par le chef du gouvernement figurent la mise en place d'unités respiratoires mobiles, d’un nouveau bloc de chirurgie osseuse, d'équipements de radiologie et de cardiologie aux urgences, d’un stock stratégique de médicaments et l'organisation du circuit du sang dans le gouvernorat.
Enfin, le budget alloué à l’hôpital public devrait être augmenté, notamment pour réaménager l'établissement et son infrastructure.
A.D.
- Témoignage -
Une autre vision de l'hôpital...
pas si éloignée
Si la situation n'est pas nouvelle, elle est récurrente. A tout le moins, elle est alarmante.
Les premiers dysfonctionnements ont été révélés publiquement en 2013 quand un groupe de médecins anonymes a dénoncé l'état d'insalubrité régnant dans certains hôpitaux. Particulièrement ceux de Gafsa, Gabès, Béja, Sfax, Rabta, Bab Saadoun... et dans d'autres villes de Tunisie.
Avec force photos « choquantes et dégoûtantes » publiées sur les réseaux sociaux, ces mêmes médecins pointent du doigt « l'état d'insalubrité extrême dans les blocs opératoires ou les toilettes... »
Déjà, ils dénoncent « la mauvaise gestion des établissements hospitaliers (...) l'absence totale d'hygiène (...) la pénurie d'équipements médicaux ou désuets ».
Devant « les lits crasseux, les cuisines répugnantes, les matelas à même le sol à défaut de lits médicalisés (...) », le ministère de la Santé reste sourd.
Complication courante...
Coup de semonce l'été dernier avec l'affaire des stents périmés implantés chez des patients atteints de pathologies cardiaques, même si elle ne concerne qu'officiellement 14 cliniques privées et 49 médecins.
Et comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, on remet le couvert !
Le 12 juillet 2016, une Française de 29 ans succombe à une embolie suite à une liposuccion, en Tunisie. Pour faire simple et court, le corps médical précise que « la complication est relativement courante dans ce type d'intervention et peut survenir dans un cas sur dix mille (...) » Et d'ajouter que - même d'un point de vue esthétique -, la chirurgie du même nom reste... de la chirurgie. « Avec tous les risques et toutes les conséquences que celle-ci implique, en cas de ratage. »
Frais d'obsèques non compris !
Trop, c'est trop ! On ne saurait se contenter de cette seule explication. Loin de vouloir lever le drap sur ce dossier, on reste dubitatif devant autant de légèreté affichée par toutes les parties : ministère de la Santé, équipes médicales, assurances, agences de tourisme...
On rappelle qu'il n'a fallu au chirurgien qu'une seule consultation - la veille du passage au bloc opératoire - pour décider de l'intervention. Et que le reste a été traité par des agences spécialisées dans le tourisme médical en Tunisie puisque le coût est divisé par deux, avec un séjour all inclusive à la clé... Frais d'obsèques non compris !
Sans commune mesure, et loin de ce drame réel, la réalité de l'hôpital est la même partout. Pour preuve ce témoignage d'un touriste victime d'une fracture à la suite d'une chute, dans le cadre « d'activités non encadrées ».
Le privé... pas mieux !
Premier bilan effectué dans un hôpital régional du Sud de la Tunisie. Le matériel radiologique utilisé date de la période où le pays était sous protectorat français... Ça remonte à loin ! « Le manipulateur sort à peine de l'école primaire », constate la victime et « la radio est floue », approuve le médecin en France, auquel on vient de transmettre le cliché et les conclusions : « Fracture du condyle fémoral gauche externe et tassement du condyle fémoral interne, du même côté, nécessitant un traitement chirurgical d'urgence pour cause de risque de fracture déplacée (...) »
Devant le refus de la victime de se faire opérer sur le champ, et sur avis médical, il sera transférer le lendemain dans une clinique privée « à bord d'une ambulance digne des Taxis de la Marne, à l'époque de la Grande-Guerre ». Un autre temps, une autre époque !
Au bloc... même si ce n'est pas utile
« 90 km à être chahuté par les mauvaises conditions routières, sans aucune précaution particulière, juste une gouttière de plâtre mou ! », raconte notre témoin.
A son arrivée à la polyclinique (secteur privé), l'homme est pris en charge rapidement, accueilli par le directeur de l'établissement occupé par... deux patients (qui succomberont, victimes d'un infarctus) !
Passés les détails, la nécessité d'intervenir au bloc opératoire se fait de plus en plus pressante, « sans aucune contrainte ou obligation médicale de quelque nature que ce soit », précise le médecin français mandaté par l'assurance qui est intervenue entre temps.
Devant le refus obstiné de notre témoin « de (me) faire charcuter », le chirurgien abdique. Pour autant, la facture est salée : « Des compresses, des pansements, un plâtre (...) multipliés par deux. » Mais un service hôtelier irréprochable. Digne des grands palaces... « Buffet à volonté ! »
Ainsi va l'hôpital en Tunisie.
A.D.
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