Au nom de la République
- Jacques Bleuze
- 26 juil. 2021
- 3 min de lecture

Limogeage du Premier ministre, levée de l'immunité des députés, occupation de l'Assemblée nationale par l'armée... Le président Saïed siffle la fin de la récréation
Au lendemain du discours prononcé le 25 juillet 2021, date de la Fête de la République, prononcé par le chef de l'État tunisien Kaïs Saïed, dans lequel il annonce le gel de l’Assemblée nationale, la levée de l’immunité parlementaire, le limogeage du Premier ministre Hichem Mechichi et de la direction du Parquet, le président de la République charge le directeur de sa garde présidentielle de diriger le ministère de l’Intérieur.
Dans la foulée, l’armée est chargée d’occuper le siège de l'Assemblée nationale (ARP) et d' « en interdire l’accès à toute personne », visant implicitement l'actuel président de l'ARP, l’islamiste Rached Ghannouchi, la vice-présidente Samira Chaouachi, ainsi que plusieurs députés islamistes d’Al Karama et d’Ennahdha.
État de « péril imminent (...) »
En vertu de l'Art. 80 de la Constitution faisant état de « péril imminent (...) », le président de la République agit au nom de l'« état d'exception » et décrète toutes les mesures qu'il souhaite. Toutefois, le même article précise que « le chef de l'État ne peut dissoudre l'Assemblée », et qu'« aucune motion de censure contre le gouvernement ne peut être présentée ». Reste que dans le détail de ce même texte constitutionnel, la lecture qui en est faite par Kaïs Saïed fait débat et agite la sphère politique tunisienne. S'agit-il d'un coup d'État ? D'un « abus présidentiel », comme l'estiment les démocrates ? De la « suite logique » des élections de 2019 ?
Pour les Tunisiens, la question est accessoire voire rangée au rayon des faits divers. Partout, dans plusieurs grandes villes du pays, ils sont descendus dans les rues manifester leur joie, jugeant les mesures prises par le chef de l'État le jour de la Fête de la République « salvatrices », selon plusieurs témoignages recueillis sur place.
« Attachement à la démocratie »
Pour mémoire, le 25 juillet 1957, l'Assemblée nationale constituante proclame l'abolition de la monarchie husseïnite (XVIIIe siècle), dont Lamine Bey (Mohamed el-Amine Bey/1881-1962) fut le dernier représentant, et l'instauration de la République. Habib Bourguiba en deviendra le premier président.
Après la chute de Ben Ali en janvier 2011, la nouvelle classe politique, et en particulier les islamistes du parti Ennahdha, qui lui a succédé, s'est ouvertement réclamée de la IIe République, prônant haut et fort - jusqu'à l'inscrire dans la Constitution de 2014 - « l'attachement à la démocratie, aux droits de l'Homme, aux libertés individuelles et publiques, à la justice sociale (...) » et la « rupture avec la tyrannie »...
Les jours sont comptés
Aujourd'hui, le peuple tunisien s'exprime : « Népotisme (...) Corruption (...) Banditisme (...) Impunité (...) Mépris des lois et de la justice (...) »
En dix ans, la Tunisie a connu huit Premier ministre. Et aucun n'a été capable de relever les défis qui attendaient le pays : balance économique en berne, baisse de l'investissement, hausse de la dette extérieure, augmentation des prix à la consommation, du chômage, de la criminalité, de l'insécurité, du désordre social, de la migration irrégulière... Ajoutons à ce tableau une touche de pandémie et de crise hospitalière, avec un système sanitaire défaillant, C'est l'image d'un pays fatigué, dégradé, qui se présente au reste du monde. Même ses athlètes engagés aux J.O. de Tokyo 2020 n'y croient plus ! Le tableau est noir. Et la craie est blanche.
Le président Kaïs Saïed dispose de trente jours pour peindre une nouvelle toile de grand format, qui doit conduire inéluctablement à une République à laquelle les Tunisiens sont indélébilement attachés.
Jacques BLEUZE
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