La peau du hérisson
- mediafrancepresse
- 24 avr. 2020
- 3 min de lecture

Tous les médias racontent le quotidien. On connaît la chanson : « L'actualité, c'est vous qui la vivez... C'est nous qui en vivons ! » Tout est dans le hérisson
Comme dans toute actualité, il y a le prix estimé de l'info et celui qu'on pourra percevoir à la revente. Parfois, les porte-monnaie sont en buis ou en peau de hérisson. C'est la qualité de l'arbuste ou de la peau qui fait toute la différence.
Je pourrais vendre des vies, des histoires, des portraits, des rires, des cris, des visages fatigués ou heureux, des mains tremblantes, des râles et des larmes de douleur. Je préfère écouter le témoignage du quotidien d'une amie infirmière. Sans peau. Sans langue de bois. Sans maquillage.
Rien ne peut dissimuler la douleur du soignant lorsqu'il pense avoir échoué. Pas même derrière un masque. Sous les multiples couches de protections (quand elles sont disponibles), bat un cœur accroché au quotidien de celui qui souffre, lutte, espère... Et qui s'en remet tout entier à lui. Bien sûr, il y a les gestes techniques appris et répétés. Enchaînés. Presque automatiques quand ils ne sont pas automatisés.
Derrière ce masque, devinez qui je suis...
Je vous parle d'une femme. Avec une histoire semblable ou approximativement identique à toutes les autres. Tellement reconnaissable par son accoutrement. Son costume de Zorro qu'elle n'est pas parce qu'elle n'est ni une légende, ni une héroïne de série TV.
Là, je tape dans le dure. Le pas drôle. Le glauque. Le morbide. Je vous ai prévenu. On met les mains dans le cambouis. Même quand il y a partout de la merde et qu'il faut que la mécanique tourne lorsqu'elle veut bien (re)démarrer.
Préférer un toussotement à un râle creux. Pratiquer l'impraticable. Espérer l'irrespirable. À coup de tuyaux, de sondes et de seringues. Et attendre l'inattendu. Entendre l'inacceptable. Espérer un souffle, pourvu qu'il ne soit pas le dernier...
Plus cosmonaute que terrienne
« Retirer des poumons d'une vieille dame un mollard gros comme une orange pour lui permettre de ne pas mourir étouffée et espérer, dimanche, la retrouver. »
C'est ce que je retiens du témoignage de C., infirmière. Sur tous les fronts. Dans les hôpitaux de ville, ceux de « moyenne campagne », les établissements privés, les cliniques, les Éhpad, les services médico-sociaux...
En première ligne sur toute la ligne. Jamais seule mais parfois mal accompagnée. Je l'imagine derrière sa tenue de cosmonaute. (Je la connais plus terrienne, pour rester mondain !)
Dans sa voix, je perçois l'immensité de l'espoir qui la guide. Ne pas rentrer chez elle au petit matin pour rien.
« Allez vous faire foutre ! »
Ce qui me rassure, c'est qu'elle gueule ! « Que celles qui viennent encombrer les couloirs et les salles d'attente pour se faire remonter les paupières (...) passent leur chemin. » Qu'elles aillent se faire foutre !
Elle gueule après tout et tout le monde. (À tord). Un peu en vrac. (À raison) : « Les bons d'essence, l'abonnement de six mois à un titre de la presse nationale (...) »
Je la sais la mine déconfite, le regard fatigué - mais pas triste. Après les douze heures enchaînées, il y a la vie de famille à animer. (La mise en conserve et les confitures attendront plus tard.) Un mari et trois filles. Plus tout à fait des enfants (les quatre) mais quand même un peu.
On s'appelle peu, mais on se parle longtemps. Je glisse ici ou là une blague de sexe. (C'est notre signe d'appartenance à une confrérie qui n'existe pas mais qui apporte la preuve que ni l'un, ni l'autre n'a changé depuis tout ce temps de confinement.)
Merci
Depuis tout ce temps, C. m'a affublé d'un surnom qui me va. Un peu comme la chanson de Bonne nuit les petits ! C'est rassurant.
Infirmière, C. est rassurante ! Que ça fasse du bien ou que tu ais mal. Un peu Zorro. Un peu Nounours. À tous les Nicolas et Pimprenelle (qu'ont forcément pris de l'âge !), tu veilles sur eux. Ce soir, je ne t'ai pas applaudie. Ni toi, ni personne. Pareil aux autres soirs. (Aux autres nuits.) J'ai le hérisson qui me démange tellement j'ai la peau qui me gratte...
Je viens, à toi, te dire merci.
Jacques BLEUZE
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