Le cimetière des migrants
- Jacques Bleuze
- 19 déc. 2017
- 3 min de lecture

Une ancienne décharge. Au bout d'un long chemin,
un cimetière. Un terrain de sable qui accueille
les restes d'inconnus disparus en mer
À la sortie de la ville de Zarzis, en face de l'île de Djerba, un long chemin mène à une ancienne décharge municipale. Ici et là, des monticules de sable sous lesquels reposent des restes humains.
Ce cimetière d'un genre nouveau recèlent les restes d'hommes, de femmes et d'enfants qui ont tenté la traversée de la Méditerranée, avant de s'échouer quelque part sur une bande de sable. Sur la route maritime qui aurait dû les conduire de la Lybie ou de la Tunisie en Italie.
Ils sont plus de 165 000 à avoir tenté la traversée en 2017, et 70 % d'entre eux sont parvenus à poser le pied sur la terre ferme, à Lampedusa (Italie). Certains sont parvenus à atteindre, sains et saufs, les côtes de la Grèce (17 %) ou de l'Espagne (13 %), selon le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR).
Pour plusieurs centaines d'autres, ils sont venus s'échouer sur les côtes tunisiennes, à Zarzis. Des restes de corps humains que la mer a décidé de rejeter comme de vulgaires ordures et repêchés par deux volontaires tunisiens.
Trois cents restes humains
Ces deux hommes ont décidé d'offrir une sépulture à ces inconnus que la vie a condamné et que la mer et les bateaux ont broyé. Quelque trois cents restes humains reposent aujourd'hui dans ce carré de sable qui fut auparavant une décharge municipale. Des corps retrouvés là, abandonnés par la mer et que les vagues ont repoussé sur la côte. Des corps mutilés. Boursouflés. Décomposés.
Sous chaque pâté de sable, c'est l'histoire d'un homme, d'une femme ou celle d'un enfant. Peut-être même celle d'une famille entière. Sans plus de mots ou de lignes à écrire. Pas un nom. Pas une date. Ou alors juste une. Une seule. Ou bien encore un numéro... Juste une information qui ne peut être vérifiée.
Ici, les corps d'une femme et de son enfant. C'est ce que prétend le « gardien » de ce cimetière. Un peu plus loin, ceux de deux hommes. En poursuivant la visite, un prénom ou un numéro, et les restes d'un corps retrouvé sans pieds ni tête. Une seule certitude, il s'agit du vingt-septième corps de l'année 2017, échoué, retrouvé, et auquel les deux volontaires ont fourni une sépulture sans nom. Sans origine. Avec une histoire dont on connaîtra jamais rien, sauf celle qui est commune à tous ces corps : un bateau pneumatique sur lequel ils ont embarqué et qui, au fil de l'eau, se dégonfle et finit par être enseveli sous les eaux. La mer fait le reste...
Au bord de l'asphyxie
Cela ne pourrait être qu'un fait divers. Sauf que le « cimetière » est complet et que les corps mutilés continuent d'arriver (74 au total cette année). Trois corps - tout au plus - pourront être ensevelis avant que la décharge municipale, au bord de l'asphyxie, ne déborde.
La morgue des hôpitaux environnants, qui reçoit les corps pour tenter une hypothétique identification, ne peut les conserver. Il existe toutefois un autre « cimetière » à Ben Guerdane qui, lui aussi, ne peut recevoir d'autres dépouilles.
Combien faudra-t-il de terrains de sable pour accueillir les restes d'inconnus disparus en mer en tentant la traversée vers l'Europe ? Combien faudra-t-il de plages encore pour recueillir les restes d'êtres humains moins bien considérés qu'un khuruf à la veille de la Fête du Sacrifice.
Pour les deux volontaires tunisiens, qui accusent « l'Europe et sa politique », il s'agit d'abord de récupérer les corps et de les recenser.
Plus tard naîtra l'espoir de les identifier et de leur rendre leur dignité...
J.B.
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