Azdine Ben Yacoub : « La Tunisie est à vendre »
- Jacques Bleuze
- 16 juil. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 juil. 2021

La Tunisie n'a plus de fonds. Le pays s'enfonce dans la pandémie de Covid. Un dernier « coup de force » politique avant une « mise en vente à la découpe » ?
L'épidémie de Covid-19 a déjà fait plus de 18 000 victimes en Tunisie, et quelque 575 000 cas de contamination ont été recensés depuis le début de la pandémie. Selon des chiffres communiqués par le ministère tunisien de la Santé, on a comptabilisé jusqu'à plus de 300 décès en 24 heures.
Ce ne sont pas les rotations aériennes venues des pays voisins du Maghreb, du Golfe ou bien encore de l'Europe (la France en particulier) avec leurs lots de vaccins qui suffiront à sortir la Tunisie (12 millions d'habitants) de la crise sanitaire, premier pays d'Afrique où le nombre de décès lié à la Covid est le plus élevé.
« C'est tout le système dans sa globalité qui s'est effondré : politique, touristique, médical, éducatif et aujourd'hui sanitaire », témoigne Azdine Ben Yacoub, président de l'association Carthage, créateur d'événements sportifs et culturels destinés à valoriser la destination Tunisie et le tourisme saharien.
« Que personne ne vienne me dire que les Tunisiens ne veulent pas se faire vacciner, il n'y a pas de vaccin. La Tunisie n'en a pas achetés. L'OMS nous a donnés de l'argent, le FMI a donné de l'argent et on n'arrête pas d'être endettés. Où est passé cet argent ? »
« Tout s'écroule ! »
Qu'est-ce qui a causé l'effondrement de la Tunisie depuis les dernières élections législatives et présidentielle ?
« La gouvernance à trois têtes ! La Tunisie est un bateau (complètement) ivre. C'est l'Assemblée nationale (ARP) qui gère le pays avec à sa tête les Frères musulmans et le parti islamiste Ennahdha (...) Il y a deux choses qui fonctionnaient bien en Tunisie : l'école et le système médical. C'est ancestral et ce qui fonctionnait le mieux. Bourguiba a laissé des hôpitaux partout, dans tous les gouvernorats, et en nombre suffisant. Même dans l'arrière-pays où ne vit personne, il y a toujours un petit dispensaire qui sert de poste de premiers secours. La vraie question est de savoir comment le système médical cher à Bourguiba a pu s'effondrer de la sorte en quelques décennies. L'école et avec elle tout le système éducatif prennent le même chemin. Tout s'écroule ! Aujourd'hui, les choses ont changé, surtout le domaine médical. »
« Le pays n'est plus gouverné »
« La Tunisie n'est plus un pays qui est gouverné (...) Le Premier ministre (Hichem Mechichi qui a été limogé le 25 juillet 2021, NDLR), qui est censé être centriste, a été désigné par le président de la République qui, des jardins de son palais, n'a aucun pouvoir. Le chef de l'État ne peut rien faire sans l'accord du chef du gouvernement et inversement. Aucune entente n'est possible entre les deux têtes de l'exécutif. Aucun des portefeuilles ministériels accordés après le dernier remaniement ministériel n'ont pu être validés par le palais de Carthage, en raison de la discorde entre les trois têtes de l'État (présidence, gouvernement, Assemblée nationale, NDLR) », poursuit Azdine Ben Yacoub.
Quel regard portez-vous sur le chef de l'État ?
« Kaïs Saïed est un homme seul, dans tous les sens du terme, puisqu'il n'est soutenu par aucun parti auquel il n'appartient pas. C'est un homme qui n'a aucune culture politique et qui est arrivé au pouvoir parce qu'il est ''propre''. Il est devenu chef de l'État comme le dernier des cowboys américains (Ronald Reagan/1981-1989, NDLR). Il n'a aucune histoire politique, aucun vécu politique... Politiquement, il n'est rien ! Il désigne un Premier ministre qu'il espérait être un allié et qui, au final, se retourne contre lui parce l'ARP l'a fait basculé du côté des islamistes. Et comme l'Assemblée nationale est aux mains des Frères musulmans (le parti Ennahdha tenu par Rached Ghannouchi, NDLR), c'est elle qui décide de tout. En conséquence, la Tunisie est aujourd'hui ingouvernable. Si on ajoute à la situation politique actuelle, la crise sanitaire et le manque de touristes depuis bientôt deux ans, le pays est au bord de l'asphyxie (...) »
« La Tunisie est à vendre... »
« Le Qatar, la Turquie et l'Arabie Saoudite viennent en pompiers pyromanes estimant venir en aide à la Tunisie. Quand la France vient au secours du pays, cela ne pose aucun problème. Notre histoire avec la France est longue et sans arrière pensée. Mais lorsque le Qatar investit en Tunisie, ce n'est que pour mieux installer son idéologie et acheter le pays lorsqu'il veut le vendre à la découpe. Les Saoudiens ont envoyé une espèce d'émir psychopathe pour promettre des avions. Le seul qui me paraît louable dans cette entreprise, c'est le président Égyptien. C'est le seul qui fait front aux Frères musulmans pour tenter de les éliminer », estime Azdine Ben Yacoub.
« La Tunisie s'est retrouvée dans une gouvernance tombée aux mains des Frères musulmans qui sont sortis de prison à l'issue d'une période d'emprisonnement de quinze à vingt années. Dès leur libération, ils sont arrivés au pouvoir. J'en veux pour preuve la nomination du Premier ministre qui, huit mois après sa libération alors qu'il était condamné à une peine d'emprisonnement de vingt ans, se retrouve aux manettes. C'est criminel ! »
« Au bord de l'asphyxie générale »
Le Sommet de la Francophonie doit avoir lieu à l'automne prochain. Où en est-on de l'organisation ?
« Personne ne parle à ce jour du Sommet de la Francophonie (20 et 21 novembre 2021, à Djerba, NDLR). Tout le monde s'en fout ! La Tunisie est déclarée en zone rouge Covid et il y a peu de chance que la situation évolue favorablement au cours du mois d'août. Quel temps va-t-il rester à l'organisation pour cet événement alors que l'ensemble des pays concernés est broyé, asphyxié, par la pandémie. Croyez-vous qu'à la dernière minute, tout le monde francophone va sortir du comas et improviser..? »
Propos recueillis par Jacques BLEUZE
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